Les méthodes modernes d’élimination des individus. 1. l’élimination sociale.
Methodes-Speciales-Services-Secrets
Les méthodes modernes d’élimination des individus.
1. l’élimination sociale.
Par « élimination sociale »,
il est entendu l’isolement social d’un individu par le recours au
discrédit et la suppression complète de ses moyens économiques, le but étant qu’aucune personne
intégrée dans la société ne souhaite développer ou poursuivre une relation régulière et amicale avec
lui. Car un individu normalement intégré dans la société et éduqué ne souhaite jamais faire la
connaissance d’un nécessiteux, même si celui-ci parvient à démontrer qu’il a un doctorat.
L’élimination sociale prend toujours la forme d’un harcèlement dont celui qui en est la cible ne doit
pas pouvoir désigner l’auteur à l’opinion publique, sinon au risque d’être aussitôt accusé de
fabulation, de paranoïa ou de schizophrénie.
Dans une large majorité de cas, les services secrets éliminent socialement un individu lorsque
celui-ci, à la fois, est susceptible de porter atteinte à l’ordre public (passivement ou activement) et
n’accepte plus (ou pas) l’autorité. Plusieurs cas entrent dans cette définition :
– l’espion étranger qui a été repéré, mais qui refuse de coopérer (pour que l’on fasse de lui un
agent double[113]) ;
– l’agent ou l’employé des services secrets qui cesse d’obéir ou qui trahit ;
– l’individu ordinaire ou la personnalité qui a connaissance d’informations compromettantes pour
les intérêts de l’État, et qui est à la fois crédible et hautement susceptible de les révéler parce qu’il
ne se soumet pas à la manipulation, ni n’est vulnérable à un moyen de pression ;
– le militant politique ou religieux extrémiste qui, à la fois, est doué d’une capacité à convaincre et
à rallier d’autres individus à sa cause, mais n’accepte ni la manipulation, ni de rejoindre un groupe
politique officiellement reconnu ou toléré, ni n’est vulnérable à un moyen de pression efficace ;
– l’agent ou l’employé des services secrets qui est puni pour une faute grave.
Tous les services secrets du monde pratiquent couramment l’élimination sociale, depuis fort
longtemps dans quelques cas. Par exemple, des récits historiques attestent de formes de harcèlement
particulièrement sophistiquées dirigées contre Voltaire par le roi de Prusse Frédéric II (dit Le
Grand), lorsque ce dernier comprit que le philosophe et écrivain français avait été envoyé par Louis
XV pour l’espionner et tenter de l’influencer dans sa politique[114]. Frédéric II n’avait pas voulu
s’en prendre violemment et ouvertement à un homme aussi connu et « respectable » que Voltaire.
C’est pourquoi il fit mettre à la disposition du Français une résidence, dont ce dernier ne manqua de
remarquer, entre autres détails, que ses murs intérieurs avaient été peints en jaune, couleur de la honte
et du discrédit en Prusse à cette époque, et que la nappe de la table de la salle à manger avait été
brodée de renards, symboles de la trahison et de la fourberie. En sus de quoi Frédéric II avait fait
suivre Voltaire par des agents partout où celui-ci se déplaçait en Prusse, et juste assez ouvertement
pour que ce dernier puisse s’en apercevoir sans pouvoir le démontrer formellement.
Typiquement, l’action d’élimination sociale d’un individu par les services secrets est toujours
identique dans son principe, quel que soit le pays, puisqu’elle doit agir sur les leviers de l’esprit
humain qui ont été expliqués au chapitre précédent, lesquels sont évidemment universels. Par contre,
les formes que peut prendre le harcèlement qui en est l’outil peuvent grandement varier d’un individu
à l’autre, selon les personnalités, cultures et intelligences de ceux-ci.
Par exemple, Voltaire ne pouvait se sentir harcelé que parce qu’il était assez cultivé pour savoir
que le jaune était la « couleur de la honte », et le renard une représentation allégorique de la trahison
et de la fourberie. Un individu aux intelligence moyenne et culture médiocre se serait estimé, au
contraire, très heureux d’avoir une belle nappe brodée et des murs fraîchement peints, et il aurait pris
Voltaire pour un fou s’il l’avait vu se lamenter ; un effet secondaire du harcèlement attendu par son
auteur.
Au XXIe siècle, le service de contre-espionnage qui veut procéder de la même manière que
Frédéric II — cela arrive fréquemment dans la réalité — pour faire savoir à un espion étranger, ou à
un individu suspecté de l’être, qu’il ne lui est plus longtemps utile de tenter de le cacher, se
débrouillera pour lui présenter ostensiblement, par un moyen ou un autre, un symbole en usage dans
son service secret dont lui seul pourra comprendre le sens (exemples réels : un petit chien en peluche
ou en figurine dans le cas d’un pays, un ours présenté sous le même aspect pour un autre, un œil
humain pour un autre encore…). L’opinion publique n’ayant pas couramment connaissance de cette
symbolique bien hermétique, celui contre lequel elle a été employée ne pourra raisonnablement s’en
plaindre, même à ses proches, sous peine d’être accusé d’avoir « l’esprit dérangé » — c’est
précisément pour cette raison que les services secrets, et de contre-espionnage en particulier,
procèdent ainsi.
Ces derniers exemples et leurs explications permettent de se faire une idée assez précise d’une des
marques caractéristiques d’un harcèlement conduit par des services secrets. Car il y en a d’autres,
que nous allons bientôt examiner. Aussi, on comprend la nécessité pour les services secrets que leurs
méthodes de harcèlement doivent toujours être particulièrement difficiles à démontrer par le harcelé.
Les premières étapes de l’élimination sociale d’un individu par les services secrets sont souvent,
sinon toujours, très similaires à celles du recrutement d’un de leurs employés ou agents. C’est-à-dire
que l’élimination commence d’abord par une privation plus ou moins rapide des ressources
économiques de celui qui en est la cible. Ce dernier perd son emploi à la suite d’une manipulation ou
d’une intervention quelconque, puis ne parviendra pas à en trouver un autre, quoi qu’il fasse, quels
que soient ses compétences, expérience et diplômes, quelle que soit l’ingéniosité qu’il peut déployer
pour ce faire — puisqu’il fait l’objet d’une étroite surveillance.
Car, parce que la recherche d’un emploi, de nos jours, passe inévitablement par l’usage de
l’Internet, du téléphone et du courrier, un service secret aura toujours toute facilité pour devancer, ou
intervenir peu après, celui auquel il veut nuire au moment de cette démarche. Il n’existe pas de mot
dans la langue de Molière pour nommer cette action « d’exclusion économique délibérée » (peut-être
parce qu’elle n’est pas censée exister), mais il en existe bien un dans celle de Shakespeare :
blacklisting (littéralement, mettre sur une « liste noire »). Cependant, il semble que la francisation
de ce mot anglais soit en cours, avec l’apparition depuis quelques petites années du verbe
« blacklister » (encore réservé pour l’instant à l’action d’exclure une personne d’une liste
informatique de clients, de membres ou d’abonnées).
Il existe d’ailleurs un cas de blacklisting qui est entré dans l’Histoire des services secrets, en
partie en raison du nom de sa victime, celui de Klop Ustinov, père du célèbre acteur Peter Ustinov.
Klop Ustinov était un grand intellectuel, passionné d’Histoire, qui fut utilisé comme agent double par
les services secrets anglais durant la Seconde Guerre mondiale, et qui rendit d’immenses services
aux Alliés. Cependant, comme Klop Ustinov n’avait jamais été qu’un agent, et non un employé des
services secrets, et qu’en sus il avait eu connaissance d’informations dont la confidentialité se
poursuivit bien après la fin de la guerre, les services secrets britanniques le blacklistèrent jusqu’à la
fin de ses jours. On lui versa une pension calculée pour suffire à quelques besoins élémentaires, mais
ce fut trop peu pour qu’il ne se trouvât obligé de vendre, volume après volume, tous les livres de sa
grande bibliothèque. Voyant la dérangeante précarité de Klop Ustinov, en regard des importants
services qu’il avait rendus à l’Angleterre, quelques cadres des services secrets tentèrent le lui faire
obtenir une petite rallonge à sa pension, mais cette demande fut refusée. Klop Ustinov mourut dans un
état de misère indescriptible, après avoir vendu tous ses livres auxquels il tenait tant.
À titre de dédommagement pour les conséquences de ce blacklisting qui avait évidemment touché
la famille de Klop Ustinov, les services secrets donnèrent un « coup de pouce » à son fils, Peter, qui
devint ainsi un acteur connu et riche[115].
Il serait possible de présenter dans un tel chapitre de nombreux cas plus ou moins similaires à
celui de Klop Ustinov qui se sont déroulés dans d’autres pays occidentaux, mais comme ceux-ci n’ont
pas été officiellement reconnus comme tels, il est impossible de rapporter les noms de leurs victimes
sans s’exposer à quelques poursuites. Et à cette liste, on pourrait ajouter celle de personnages qui se
trouvèrent, ou se trouvent encore aujourd’hui, dans la très inconfortable situation d’être à la fois
réfugiés politiques et détenteurs de secrets d’État. Les pays qui sont assez charitables pour accueillir
ceux-là — souvent à la demande d’un pays tiers qui ne veut pas les prendre en charge pour des
raisons diplomatiques — les privent cependant de tout contact avec la société, ce qui comprend, par
conséquent, l’interdiction de travailler dans une entreprise ou même d’obtenir des revenus qui
favoriseraient une inclusion dans la société.
Revenons au cas spécifique de l’individu qui se trouve blacklisté dans le cadre d’une élimination
sociale, et commençons par énumérer tous les moyens dont usent la plupart des services secrets pour
ce faire.
En sus de la privation du droit au travail et de la surveillance des moyens de communication, on
trouve une multitude de moyens et méthodes de harcèlement dont le but commun est d’user
nerveusement la cible, et de la pousser à agir, encore. Un harcèlement par les services secrets est
élaboré sur la base d’un fait qui a été maintes fois démontré par des chercheurs et médecins
spécialistes de la neurobiologie, du behaviorisme, de la psychologie évolutionniste, de la
psychanalyse et des neurosciences en général[116]. Tout être vivant muni d’un système nerveux
central réagit à l’agression par un comportement de défense (qui peut être passif ou actif, ou les
deux). L’Homme n’étant pas équipé d’un moyen de défense passif naturel, comme le hérisson et le
putois, il se défend par l’action contre l’agression, même lorsque cette action est peu susceptible
d’être payante. L’Homme, qui est une créature intelligente parce qu’elle a un système nerveux central
pourvu d’un néocortex[117] très développé, est cependant capable d’apprendre à différer sa défense
ou sa riposte. Car grâce à son intelligence, l’Homme peut mieux évaluer qu’un animal la force et la
tactique de ce qui le menace, et attendre un moment plus propice pour dissuader ou éliminer cette
menace. Il peut tenter de fuir, aussi. Mais il est particulièrement rare qu’il soit assez fort à la fois
nerveusement et intellectuellement pour différer à volonté une action physique de riposte.
Par exemple, tout le monde a fait l’expérience, durant l’enfance en particulier, d’être tourmenté par
de petites agressions telles que des moqueries, somme toute insignifiantes, mais répétées, jusqu’à ce
que l’inévitable instant de la colère survienne — assortie d’une gifle, d’un coup de poing ou d’une
autre action associée du même genre. Mais lorsque l’on est adulte et que l’on se trouve dans le
contexte d’une société civilisée moderne, ce genre d’action peut facilement se solder par une
sanction ; celle d’une plainte pour coups et blessures, par exemple. Pourtant, personne ne peut
échapper à cette défense par l’agression, même les plus intelligents et les plus cultivés d’entre nous,
parce qu’elle est l’expression d’une pulsion « préfabriquée » qui provient du cerveau reptilien[118],
et non d’une réflexion élaborée dans le néocortex.
C’est sur la base de cette connaissance scientifique que les services secrets ont construit une
technique de harcèlement, et une seule. Car, on le comprend dès lors, c’est uniquement ce geste
violent issu de la pulsion qu’ils cherchent à provoquer. On trouve donc deux actions et deux visées
différentes dans une élimination sociale par les services secrets, complémentaires cependant.
Il y a une bonne raison venant justifier la seconde action que nous venons de voir : le coût en
moyens humains et techniques, très lourds, qu’implique l’élimination sociale d’un individu. Car tant
que la cible de cette élimination ne se sera pas définitivement discréditée d’elle-même, en
commettant l’irréparable sous l’emprise d’une pulsion, il faudra s’efforcer de le faire pour elle, ce
qui demande d’infinies précautions pour que d’aucuns n’en viennent pas à s’en apercevoir et décident
de prendre sa défense, de témoigner (contraindre la cible à se trouver en contact régulier avec des
marginaux est une autre manière de la discréditer contre son gré).
L’analogie de la toile d’araignée revient dans ce contexte, mais de manière peut-être plus
évidente, car la métaphore de la mouche qui s’empêtre plus encore dans la toile à mesure qu’elle se
débat de manière désordonnée, ses gestes étant commandés par la même pulsion de lutte, montre
exactement ce qui arrive à l’individu pris pour cible d’un harcèlement organisé.
Mais l’être humain, victime de sa propre intelligence supérieure, est réceptif à des subtilités que la
mouche ne pourrait pas même identifier. Ces subtilités se présentent comme autant de mailles
supplémentaires qui, en dépit de leurs apparentes faiblesses, empêchent encore la « proie » de
concentrer tous ses efforts sur les plus solides. Ces faibles mailles sont le cynisme et le sourire qui
accompagnent toujours l’acte de harcèlement le plus petit, le refus lourd de conséquences prononcé
suavement, la mesquinerie récurrente, les comportements faussement infantiles, les promesses et les
engagements révoqués à la toute dernière minute pour des motifs absurdes, mais légalement
justifiables, les multiples « hasards malheureux » et autres funestes « coups du sort », les coups de
téléphone bizarres ou absurdes « qui ne se produisaient que très rarement avant », les inexplicables
« pannes » électriques, de chauffage, de connexion à l’Internet ou au téléphone, de réseau câblé
télévisé qui ne se produisent que durant les émissions favorites, les attitudes inexplicablement
hostiles des voisins et des commerçants, le voisin qui ouvre en grand ses fenêtres quand il fait des
grillades à chaque fin de mois alors qu’il n’y a que des pâtes à manger à la maison, tandis qu’un autre
empile, bien en vue, les boîtes de pizzas vides devant sa porte plutôt que de les mettre à la poubelle,
et puis celui du dessus qui organise régulièrement de bruyantes fêtes avec ses amis, etc., etc.[119]
On le remarque, tous ces faits sont anodins et bien ordinaires ; personne ne serait assez fou pour
les prendre comme les preuves d’une quelconque agression. C’est juste l’extra-ordinaire fréquence
avec laquelle ils se produisent, et leurs extra-ordinaires associations qui les font devenir, ensemble,
un harcèlement indiscutable et puissant. Ils ont tous pour caractéristique particulière commune, et
pour seul but de faire naître un sentiment de frustration dans l’esprit de celui qui y est exposé, en
particulier lorsque ses ressources économiques ont été délibérément réduites au minimum vital, et
lorsqu’il a été isolé socialement.
Car la frustration, lorsqu’elle se prolonge indéfiniment, est un sentiment qui mène inévitablement :
soit à la dépression, soit à des bouffées violentes, soit au suicide. La frustration est un barrage à
l’action, elle produit exactement les mêmes effets, sur le long terme, que l’inhibition. Lorsqu’elle est
entretenue et dirigée contre tous les besoins et centres d’intérêt d’un individu, la frustration est un
emprisonnement virtuel, sans murs ni barreaux visibles, un emprisonnement de l’esprit que personne
d’autre que celui qui en est la victime ne peut voir.
Mais quand bien même la cible de cette forme très sophistiquée de harcèlement aurait
l’intelligence de consigner dans un cahier toutes ces sources de frustration extraordinairement
nombreuses, avec des dates permettant d’en démontrer l’anormale fréquence, celle-ci devrait encore
prouver l’impensable : qu’un aussi grand nombre de gens n’ayant aucun rapport avéré les uns avec
les autres se soient délibérément ligués pour agresser un(e) pauvre inconnu(e) sans emploi qui vit
dans une situation de grande précarité. Seule une issue dramatique permettra peut-être de s’interroger
sur la cause de cette succession d’improbables hasards, puisqu’elle sera inexplicable.
Le témoignage d’un harcèlement par une autre personne que celle contre laquelle il est dirigé est un
incident que redoutent évidemment beaucoup ceux qui en sont les auteurs. C’est pour ce genre de
raison, une fois de plus, que les services secrets recrutent beaucoup de juristes et de psychiatres.
C’est pour cette unique raison qu’un service de contre-espionnage a dû se résigner un jour à faire
aller en prison et à discréditer l’un de ses propres collaborateurs, ainsi que l’a montré un des
exemples du chapitre précédent.
Il suffit d’une faute d’un agent des services secrets, d’une petite négligence ou d’une méprise, pour
qu’un harcèlement soit constaté par une autre personne que celle contre laquelle il est dirigé. Et sitôt
que cela arrive — les psychiatres des services secrets le confirment eux-mêmes —, il n’est
raisonnablement plus possible de prétendre devant une cour de justice que deux personnes puissent
avoir des « illusions » ou des « délires » absolument identiques.
Dans les pays où le pouvoir des services secrets se manifeste plus fortement et plus souvent que ce
que prévoient leurs constitutions, les cas d’éliminations sociales y sont anormalement fréquents aussi,
proportionnellement pourrait-on dire. L’opinion publique finit toujours par le remarquer, et elle n’a
d’autre alternative dans ce cas que d’ignorer délibérément « ces histoires de gens sur lesquels la
colère des dieux semble inexplicablement s’acharner », par crainte de sanctions similaires, ou les
dénoncer lorsqu’elle sent que cette initiative sera encouragée.
Ces cas d’éliminations sociales discrètes, que seul un pouvoir ayant la puissance d’un État peut
accomplir, sont bien souvent visibles pourtant. Car, fréquemment, un individu qui est discrètement
poussé à bout selon les méthodes que nous venons de voir en vient à commettre des actes d’une
extrême violence, que les media ne peuvent passer sous silence. Ici un père de famille sans histoire
qui a tué tous les siens, a tiré des coups de feu sur les forces de l’ordre ou même sur de simples
passants avant de se donner la mort. Ici un homme à l’intelligence et à la culture au-dessus de la
moyenne qui s’est procuré une arme automatique pour ensuite tirer sur des dizaines de personnes,
sans raison rationnellement justifiable ou explicable. Là un policier ou un militaire bien noté qui s’est
soudainement mis à tirer sur ses collègues, sans explication ni raison apparente.
Les arguments du « phénomène d’émulation » des jeux vidéo et des films violents ne parviennent
pas à expliquer tous ces étranges phénomènes d’ultra-violence gratuite, fréquemment suivis du
suicide prémédité de leurs auteurs, que la société ne connaissait pas il y a seulement trente ans et
n’avait jamais connus avant cela.
Tous ces cas n’ont pas nécessairement pour cause un harcèlement durable et délibéré, mais un
examen approfondi de chacun de ceux-ci met fréquemment en lumière quelques indices troublants et
concomitants avec l’hypothèse d’un harcèlement élaboré et discret, pour quiconque sait comment il
est pratiqué et contre quels profils d’individus en particulier.
Parce qu’à peu près tous les États modernes pratiquent l’élimination sociale, peu importe la
fréquence, un consensus tacite s’est installé à ce propos. Tel pays se montre hésitant à dénoncer de
telles méthodes dans tel autre pourtant son rival, simplement parce qu’il redoute que ce dernier
puisse riposter en dénonçant les siennes, et réciproquement — il ne serait donc pas une bonne idée
d’en parler. Tout au plus un romancier ou un cinéaste pourra-t-il les présenter à l’opinion publique
sous la forme d’une fiction devant émouvoir les esprits.
Cependant, la reconnaissance officielle de ces harcèlements d’État se produit de temps à autre,
c’est-à-dire chaque fois qu’un gouvernement est détrôné par sa propre population. Les harcelés de
ces pays sont alors enfin admis comme tels ; ils peuvent librement raconter aux journalistes les
sévices qui leur ont été infligés ; personne ne se risquera plus cette fois, à l’inverse, à les accuser de
paranoïa, de délire ou de schizophrénie.
Cette dernière explication permet maintenant de comprendre que les services secrets doivent aussi
pouvoir s’en remettre à un consensus tacite avec l’opinion publique, les media, les autres pays et
même les réseaux internationaux de coopération policière et de justice pour pouvoir couramment
pratiquer l’élimination sociale d’individus.
Concluons ce chapitre avec la présentation de deux anecdotes authentiques qui sont parties de
missions d’éliminations sociales, et qui ne firent que s’ajouter aux nombreuses autres tracasseries qui
furent infligées à leurs cibles.
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